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Un Ultra sur un nuage - Grand trail des Hospitaliers 75km 3500D+ (14H17 de course 383/463) « Dimanche 29 octobre 4h59, il reste une minute avant le départ. Une minute ... 60 secondes... ça paraît pas mais ça peut être long une minute . Essayez de ne pas respirer pendant une minute, d’écouter Lara Fabian pendant une minute. De ne penser à rien pendant une minute. Une minute... Et 30 secondes ? C’est comment 30 secondes ? C’est suffisant pour voir toute une année de préparation défilée sous le nez. Depuis octobre 2016 je me suis dis que je reviendrai sur le 75 km. 30 secondes… J y revois mes trois crashs sans trop savoir pourquoi j avais planté le truc. 30 secondes contre un an de préparation qui va gagner ? Alors que quelque minutes avant j’étais plutôt enthousiaste c’est une chape de plomb qui me tombe dessus. J’y revois tous ces week-ends avec Lydie en séances blocs ou en mode entrainement croisé : samedi trail dimanche aussi. Samedi trail dimanche vtt. Samedi vtt dimanche trail…sous la flotte ! Et ceci tout l’hiver et le printemps. Et 20 secondes ? C’est plus court non ? Mathématiquement oui mais là j’ai le ventre qui tourne dans tous les sens. AH non pas maintenant ! J’ai pris un p’tit déj de type 2 et élaborer par Nicolas Aubineau en respectant bien les règles (https://www.nicolas-aubineau.com/diner-petit-dejeuner-avant…). Mais là je vois passer la seconde partie de ma préparation beaucoup plus intense avec Virginie et Philippe (chercheur) dès le mois d’aout : des recos du parcours, des séances course-à -pied rapprochées et dynamiques, des recos blocs en septembre. 20 secondes… Je ne regarde plus les coureurs mais plutôt le sol obscur, humide et froid. Je n'y vois plus rien. Et si c’était la fois de trop ? Cela fait un an que je saoule tout le monde avec cet objectif. 10 secondes… Il reste 10 petites secondes… Je sens que je vais craquer et… je craque. Je sens les larmes coulés et je me cache derrière ma frontale comme un gamin qui se cache les yeux sous ça capuche. Ne me regardez pas… Je lève les yeux au ciel. C’est pire encore… 5 secondes. Puis 4. Puis 3, 2,1 décollage.

D’abord une onde de lumière démarre bien devant. Je me suis mis presque au fond. L’onde se déplace et : bing ça explose. Lydie est déjà à 20 mètres devant moi et c’est impossible de la rattraper sans me cramer. Alors je fixe les baskets du type de devant. 300 mètres. Je fais un check à Virg sur le bas-côté de la route qui me sort de ce pesant anonymat. A cet instant précis de la course, t’es sensible au moindre détail. Les sons les odeurs le touché… La suite est assez simple si l’on peut dire. Soit tu cours soit tu avances ! Impossible de rester fixe. Le serpent de coureur que nous formons ne se dépliera que bien plus tard particulièrement à Saint jean ou là tu commences à taper dans le dur. Avant cela sur le plateau, un peu avant Sauclières, j’admire un ciel rougeâtre en direction du Roc Blanc et du pic Saint Loup. C’est jolie. Sauf que je perds de vue qu’en général c’est mauvais signe d’un point de vue météorologique. Le calme avant la tempête en quelque sorte. Je fais cette course sans assistance et je pense à Matthieu Craff (http://zinzinreporter.fr/…/rando-vtt-au-coeur-des-cevennes…/ ), ultra traileur qui nous a quitté dans un accident au Mont Blanc cet été. Il était venu à l’ultra du pas du diable et je l’avais croisé que quelque secondes. Sans assistance il avait terminé la course 5 ème je crois. Sa disparition alors que je ne le connaissais pas m’avait un peu secoué… Peut-être me donnera-t-il des coups de pied au cul pour qu’ enfin je finisse cette course ! Saint jean 22 kil. Tout va bien. Il y a 2 trucs que je m’étais fixé : ne pas entendre le palpitant taper trop fort dans l’oreille et éviter l’hypo. Dans l’ orange, jamais dans le rouge ! Et bien bizarrement je ne ressens aucun de ses 2 signes annonciateurs de futurs problèmes. Bien au contraire. Alors que je me fais doubler dans tous les sens dans la première montée, je reste régulier avec mes battons. Ne pas courir dans les montées mais marcher vite quitte à calmer le rythme. Après une belle montée et un répit assez plat c’est une piste en direction de la croix des prisonniers.

On va arriver à 25 km où je n’ai toujours aucune sensation de fatigue. Je prends une démarche balade et chantonne n’importe quoi ! Je sifflote même alors que j’entends des souffles assez forts de chaque côtés. Je suis le simplet du trail ! Aucunes pensées négatives ne doivent franchir le seuil de mes pensées. Je m’y refuse. Finir la course. Même en 16 heures mais finir. Finir finir finir. Je n’ai rien pris de solide à par un biscuit choco Gerblé et de la Nutratlhetic depuis Sauclières. Je sors alors 2 sandwichs avec pain de mie ,jambon emmental (recette de Lydie ! ) et ça passe. Sur 75 kil je n’ai mangé qu’une pâte de fruit preuve que se gaver de sucre n’est pas forcement utile contrairement à ce que l’on croit. Si le ciel est encore clair, ça commence à souffler pas mal. Je papote avec un coureur qui a fait le trail du saint guiral. Je me présente, et lui explique la suite du parcours qui sera uniquement dans les crêtes. « je vais mettre un coupe- vent alors me dit-il » Je pense qu’il doit encore me remercier à ce jour ! On attaque le vif du sujet. ça monte ça descend ça souffle aussi et de plus en plus fort. Le ciel est toujours clair et je regrette de ne pas avoir un sac plus pratique pour ranger l’iphone et faire des photos de peur de le paumer. Macron m’ayant en ligne de mire les jours qui vont suivre vont être sous le signe de la sobriété ! Dommage on voit bien le pic saint loup depuis le GR71 et ses blocs de granits qui nous accompagnent jusqu’au saint guiral. A son pied, c’est un remake d’un film catastrophe ! Des courageux prennent des photos ou mangent à proximité. Je décide de faire ma pause plus bas vers la piste forestière au soleil. Je déballe ma bouffe et remets aussi tôt mon sac sur les épaules. Il fait vraiment froid. Avant de partir j’ai hésité à embarquer un 3ieme buff. Celui offert par l’inscription. Il sera fort utile car je le placerai sous mon bonnet. C’est dire ! Je mange en courant. La technicité de la descente du saint guiral avec ses feuilles et ses blocs cachés m’incite vivement à la prudence. Comment ils font les gars pour courir là dedans ?! Je passe La rouvière, le camping de Dourbies. 44km et 1900D+ en 6h43 2 heures d’avance sur la BH objectif (entre 6h30 et 7h00 de course ) atteint.

Je n’ai pas d’assistance donc. Seul un ami m’a déposé le sac à Dourbies et une grosse frontale à Cantobre. A par ça, c’est seul que je vais faire les 30 bornes qu’il reste. Je panique un peu en ouvrant le sac. Je vire ma gore tex et change de t-shirt. Jusque-là c’est assez simple. Le reste beaucoup moins : comment me vêtir, quoi manger ? Il me faut prévenir ma famille faire un message sur Facebook prévenir Virg que tout va bien. Le réseau fonctionne c est déjà ça. Mais il me faut aussi virer mes gants mes gantelets, ranger écrire manger. ça commence à s’embrouiller et je reste prêt de 30 minutes dans la base vie. Si I’on m’avait filmer, je suis à peu prêt certain que j’ai du faire et refaire 10 fois les mêmes gestes pour un résultat qui en aurait nécessité 1. Je me décide enfin à sortir…en t-shirt et 3/4 haut. En 10 mètres j’ai compris que ça n’irait pas loin et je mets un coupe-vent un peu plus recouvrant. En courant il est supportable. Et pourtant. Au bout de 2 kilomètres je comprends que si je reste comme ça je me dirige vers un 4ième crash. Le ciel est noir les lunettes de soleil ne me servent à rien. Je sors alors un deuxième coupe-vent préalablement plié dans le sac à Dourbies. ça va déjà mieux et je bascule au-dessus de la route pour rejoindre les crêtes du suquet. Le long du chemin je passe devant un groupe de 3 grands coureurs. Anciens basketteurs de Nantes ils s’écartent et me laissent faire. Dans la descente sur Trêves je leurs demande s’ils veulent passer devant « non, vue la mine que tu nous mets dans les montées ça sert à rien ! t’es du coin, tu connais le parcours ? ». Plus que ça… Je pense que je (nous ?) suis un élément de cet environnement calme et loin de la futilité de la ville. Plus jeune nous sommes forcés à rentrer dans des cases et à avoir juste 2 choix : payer, produire. Cette balade nous permet pendant quelque temps d’échapper à tout ça et à revenir à l’essentiel. En trottinant, je leur explique le parcours et on reste plus ou moins ensemble jusqu’ à Nant. Trêves 14h 54km 2300D+ 9h00 de course. J’ai 1h45 d’avance sur la BH.

Depuis le début c’est un long monologue depuis 5h00 du mat’ ou je cogite pas mal. Un voyageur intérieur à la limite de la schizophrénie ;-) Mes suiveurs sont assez discrets et par moment nous ressemblons à une scène de La marche de L’Empereur (pas celle de Macron !) le film. En file indienne, dans le calme, sans un mot, nous avançons au milieu du vent et du froid. Ravito de trêves. De la soupe bien chaude nous est proposée et j’en prends deux grands verres et des toasts de roquefort. Des bananes et des sandwichs. J’essaye de ne pas trop trainer et je discute un peu avec Monique Veyrunes ultra traileuse de Compeyre et qui finira 1FV3 en 13h42. Je sors de la base vie de Trêves afin de reprendre la course. Dans le village je croise Régis, le maire. A chaque fois que je le croise je pense à mes années lycées déjà bien loin… Régis était notre chauffeur du bus entre Saint jean et Millau. J’ai encore en mémoire les Trois Bip qui indiquaient 7h00 à la radio et qui donner aussi le top départ à l’arrêt de Nant. C’était à l’époque ou RMC n’était pas devenu la radio de beauf. Le soir on pouvait assister au duel entre un Franck Peloux , émission « bleu nuit » sur RMC, et Bernard Lenoir sur Inter dans les Inrock. Sur la première tu pouvais encore entendre les Ramones ( https://www.youtube.com/watch?v=hNVyeMWSMSY ) avec en éco des choses un peu plus péchus (ou bobo ! ) comme Suède ( https://www.youtube.com/watch?v=i7mEB2wnDLQ ). « Salut Régis, cette année tu ne sors pas le bus pour moi, je finis ! ». Et je poursuis au bord du Trévezel. Les dernières fois j’ai maudi cette partie avec ces blocs cette humidité et son sol boueux. Cette fois ci non. Je slalome entre des blocs sans les accrocher comme par respect. « respecte le chemin et il te respectera ». Un peu plus loin des enfants jouent. Ils ne semblent pas déranger par notre présence et nous regarde à peine. « vous êtes fous « doivent-ils penser. Je coupe la route et le plat de résistance commence. L’écart entre les coureurs s’allonge et nous attaquons la partie en dévers faite de relances et de petits singles couvert de cailloux fuyant. ça monte ça descend mais l’avantage c’est que je connais le terrain. Au pont qui traverse le Trevezel c’est un chemin classique. Je prends mes battons et alors que je ne fais jamais ça je cours avec. Marre de piétiner : file ! Et quasiment jusqu à saint sulpice je m’en sers comme appuie. Je redouble les basketteurs et j’arrive au pied de la 3ième difficulté : la monté sur le causse noir. La météo est de plus en plus inquiétante et il fait de plus en plus froid. Interdit de courir la dedans et je fais un geste après l’autre. C’est long, c’est usant en et j’arrive à 60km 2900 D+ en 11h de course. J’ai fait les 3/4 de la montée… Il en reste encore 1. J apprends que nico a réussi en 10h50. Je continue. Plus loin, je vois une forme par terre. Blanche, avec des tâches et qui me tourne le dos : « un petit chien ! ». Je fais 3 pas sans violence. Je m’approche de la forme. C’était un gros cailloux couché ! Pourtant je vais bien mais je commence à être fatiguer. Au prochain check point, Pat de l’orga me donne un verre de coca et je repars. Il faut courir, il fait trop froid. Je me demande si ce n’est pas du grésil qui tombe. Je mets mon buff en cagoule avec mon bonnet par-dessus. Et dire que je voulais faire Dourbies nant en short et t-shirt ! Tant pis je ressemblerai à un cosmonaute ! Je trottine sur le causse et rencontre mes compagnons de route. Il reste quelque kilomètre jusqu’à cantobre mais là aussi dans le devers et avec 2 grosses marches dans la descente : Messieurs ce que nous avons monté ben on va le descendre ! Mais il y aura des crêpes à l’arrivée ! Nous descendons donc tranquillement au pied du Trévesel et on remonte sur Cantobre. 65km 3000D+ 12h15 de course 1h15 d’avance sur la BH.

La course est presque pliée. Je récupère ma grosse lampe bien utile. Je n’ai pas très faim et ça danse la samba dans l’estomac. J’évite les crêpes et prends des bananes. Je n’y moisis pas comme à Dourbies. Il faut finir. Moins de 14h me parait peu probable et la nuit commence à tomber. J’annonce mon arrivée à Cantobre sur Facebook, en SMS à Carole et Virg. Les notifications pleuvent et comme j’ai des gants impossible d’ouvrir le téléphone et de le replacer à chaque fois. ça sonne tout le long de la montée sur le causse Bégon. Une dernière accélération et je prends la tête de notre petit groupe avec mes battons. Je passe le poste à Gérard qui m’encourage et j’emprunte alors le chemin vers le roc nantais. Je marche plus que je cours. ça sert à rien. Je suis fatigué et la chute serait fatale. Encore des notifications dans l Iphone. Impossible de répondre. A y reflechir la prochaine fois je prendrais 5 minutes en communication orale pour expliquer ou je suis c’est plus simple et moins stressant pour les suiveurs et… les coachs ;-) . Interminable descente du roc nantais. Le sol est lisse comme un miroir et mes battons me servent bien. C’est solide le carbone ! Enfin la délivrance. Un Champs Elysées d’herbe une dernière monté. Ok pas de crampes, on accélère et j envoie tout jusqu à l’arche ou je fais un bond ! . 14h17 de course, 75km, 3500D+, l’orga est là qui m’attendait enfin. C’est fini !

Nous sommes à J+4. Avant de partir au bureau j’ouvre le livre de Guillaume Leblanc, philosophe ultratraileur (https://www.amazon.fr/Courir-Méditations-métap…/…/B01DMOSLI8). Selon lui la course à pied est un moyen de re-synchroniser notre vie. En effet nous sommes en permanence sollicité entre un temps artificiel créer par la technique et un temps naturel et équilibré avec des cycles millénaires. La course à pied remet un peu d’ordre à tout ça et comme il faut du temps, un ultra le permet ! Du moins c’est ce que je pense avoir compris. A voir sur mon prochain défis ;-). (A Matthieu Craff)

Laurent

Laurent